Christian Guichard a inventé un procédé capable de rendre les documents infalsifiables. Il le commercialise via sa société, Authentification Industries, qui a vu le jour en 2012 et qu’il veut désormais mener vers la business intelligence et le big data.
NN : Pouvez-vous nous présenter Authentification Industries ?
CG : Nous avons créé un AI Code (Authentification Industrie Code), un code d’intégrité qui permet de vérifier qu’un document est un original et que les informations sur ce document n’ont pas été falsifiées. Par exemple sur un chèque de banque, le code va en reprendre toutes les informations : le montant, le destinataire, la date, le numéro, etc… et grâce à l’AI Code, nous allons pouvoir garantir que ces mentions variables n’ont pas été changées et que ce chèque a bien été émis par l’autorité compétente. Tout cela est chiffré, signé digitalement et contrôlable hors ligne, au contraire de la plupart des technologies qui existent aujourd’hui. Nous avons une option qui permet de rendre le code incopiable, il est ainsi protégé contre toute photocopie.
Avoir un code auto-identifiant constitue un vrai plus, car si vous avez accès à une base de données, vous avez dès le départ une faille de sécurité, avec un risque de falsification du code et de redirection vers une fausse base de données. Il est très facile de cloner un site, d’en changer l’URL, pour faire croire que le document que vous avez est bon. En coupant le lien avec une base de données distante et en mettant tout dans le code, nous empêchons cette fraude. De plus le code peut être contrôlé par un Smartphone et ne nécessite pas de lecteurs dédiés comme pour les puces RSID.
NN : Quels sont vos marchés aujourd’hui ?
CG : Nous intervenons sur trois segments de marché : le régalien, c’est-à-dire tout ce qui est carte d’identité, passeport, permis de conduire, visa… Le dernier exemple en date est une vignette automobile pour un pays africain, qui nous en a demandé 300 000. Nous avons également réalisé un million de cartes d’identité pour la Côte d’Ivoire l’an dernier et ils nous en restent 4 millions à distribuer.
Nous protégeons également les documents de valeur : diplômes, chèques, billets…Le dernier segment est la protection des marques, souvent des enseignes de luxe, de vins, de spiritueux… Mais ça concerne plus largement tout ce qui a besoin d’être protégé contre la contrefaçon, comme les médicaments par exemple.
La protection des produits est un marché différent car notre produit authentifie sur un ensemble de variables, or sur un parfum vous avez moins de variables que sur un chèque de banque, nous créons donc une zone anti-copie. Grâce à cela, nous récoltons des données sur un serveur et nous pouvons, par exemple, repérer une contrefaçon Dior en Chine. Le serveur va capturer la contrefaçon, l’enregistrer, et si la configuration est faite, envoyer un SMS au Monsieur sécurité de Dior qui va pouvoir agir immédiatement. Grâce à la géolicalisation, il peut localiser le produit à six mètres près et envoyer la police pour voir ce qui se passe là-bas. Nous aidons donc à lutter contre les contrefaçons mais aussi contre le marché gris, si vous avez un produit destiné au Mexique qui se trouve en Arabie Saoudite par exemple, vous savez qu’un distributeur « reroute » vos productions.
NN : Comment est né Authentification Industries ?
CG : J’ai beaucoup travaillé sur la problématique des documents officiels. J’ai protégé le passeport français pendant 15 ans pour la société Fasver et j’ai fait la même chose dans 95 pays. Quand la puce RFID est arrivée je me suis dit : « c’est bien mais très cher ». J’y ai vu une opportunité, j’ai donc cherché à créer une technologie moins coûteuse et de là est né l’AI Code.
Avec ces années passées sur le marché du régalien, je me suis constitué un réseau qui nous a permis d’atteindre le marché régalien au bout d’un an, alors que normalement pour une start-up, le time to market sur ce segment est d’au minimum trois ans.
NN : Vous sentez-vous porté par le marché de la sécurité ?
CG : A vrai dire la sécurité en elle-même intéresse peu : soit les marques ne veulent pas dire qu’elles ont un problème de contrefaçon, soit elles sont satisfaites par ce qu’elles ont mis en place. Par contre si vous leur proposez un écosystème, en utilisant les données récoltées pour faire du Big Data et du marketing interactif, ça devient très intéressant pour elles. Quand nous identifions un produit, nous allons pouvoir le géolocaliser et en déduire des habitudes de consommation, pour savoir où il faut faire un effort marketing.
C’est l’idée depuis le début, quand j’ai lancé Authentification Industries, je me suis dit : « si je ne fais que de la sécurité, je suis mort ». J’ai vu tellement d’entreprises qui avaient une technologie intéressante mais qui ont fermé parce qu’elles ne proposaient que ça. Il faut développer des services en continu, des abonnements, avoir de la récurrence dans le chiffre d’affaires, proposer des modèles qui touchent le marketing. Pour moi, demain notre interlocuteur sera le directeur marketing, plus que le responsable qualité ou le monsieur sécurité. Demain, le chief marketing officer sera au-dessus des finances, de la production, relié directement au directeur général. Pour moi, c’est le futur décisionnaire.
NN : Quelles sont les prochaines étapes du développement d’Authentification Industries ?
CG : Nous continuons à travailler sur l’AI Code. Nous en sommes à trois ans de R&D et ce n’est pas fini. A côté, nous développons de nouvelles technologies. Nous déposons des brevets régulièrement, nous en prévoyons encore un ou deux cette année. A côté de ça, nous avons lancé notre plateforme de démo, grâce à laquelle vous pouvez voir les codes qui ont été tagués, et géolocaliser les produits en direct.
Par ailleurs nous sommes en train de clôturer une levée de fonds, qui devrait nous rapporter entre 400 et 500 000 euros. Aujourd’hui nous sommes sept personnes, et avec la levée de fonds, l’objectif est de transformer la start-up en PME. Nous allons réorienter notre stratégie commerciale vers de nouveaux segments de marché : les TPE-PME, les ETI, les associations et fédérations et plus particulièrement le secteur de la distribution. Nous voulons que nos produits touchent de nouvelles entreprises, tout en conservant l’aspect régalien. Nous allons donc réorganiser la société à travers deux divisions bien identifiées, avec deux directions distinctes : une dédiée au régalien et aux grands comptes et l’autre pour nos nouveaux marchés.
La levée va donc servir au développement commercial, mais également à la création d’une filiale aux Etats-Unis. Il est envisagé que d’ici deux ans, 70% de notre chiffre d’affaires soit fait là-bas, c’est pour cela que nous voulons être sur place rapidement. Nous avons déjà des distributeurs sur place, qui travaillent sur des marchés pilotes et qui vont acheter des licences pour pouvoir se développer eux-mêmes. Ce qui devrait déboucher sur une joint-venture quand notre filiale américaine verra le jour.
NN : Comment imaginez-vous votre société d’ici cinq ans ?
CG : Dans cinq ans, nous aurons du chiffre d’affaires récurrent sur nos trois segments de marché. Une filiale en joint-venture aux Etats-Unis, une à Singapour, une autre en Thaïlande et sans doute une en Afrique de l’Ouest. Il est très important, notamment sur le régalien, de s’associer avec des locaux. Par exemple à Singapour, si vous voulez travailler sur des documents officiels, vous ne pouvez pas le faire en tant qu’entreprise étrangère. Or le nouveau centre de lutte contre la criminalité d’Interpol vient de s’implanter là-bas et il devient très intéressant d’y aller.
Nous proposerons toujours des services technologiques, mais nous ne ferons pas d’intégration car bien souvent nos clients ont déjà cette « brique », qui est une valeur ajoutée pour eux et nous ne voulons pas les concurrencer la dessus.
Notre objectif est de développer de nouvelles technologies qui vont répondre à la demande de sécurisation, mais surtout de proposer des services annexes en fonction des besoins clients. Comme nous l’avons fait récemment sur les bons d’achat, qui étaient jusque là vérifiés à la main. Grâce à Authentification Industries, leur contrôle est désormais automatisé, ce qui fait économiser beaucoup d’argent au moment de la vérification.
Propos recueillis par David Rozec, drozec@nomination.fr