L’IA VA REVISITER TOUS LES PROCESS DE L’ENTREPRISE
Christophe Tricot est manager et Expert IA chez Kynapse. Il dresse un état des lieux de l’intelligence artificielle en rétablissant quelques vérités au passage. Du concret, loin de la science-fiction et de la futurologie.
Comment définiriez-vous l’IA ?
L’étiquette IA a été apposée sur des sujets qui n’en sont pas forcément. Dans les années 50, l’IA est passée de l’idée de simuler le comportement humain à la définition communément acceptée qu’il s’agit de l’ensemble des techniques et technologies ayant vocation à résoudre des problèmes complexes en s’inspirant des humains. En gros, il y a deux types d’IA : l’IA symbolique qui voit le monde comme un ensemble de règles à suivre pour simuler l’intelligence et l’IA connexionniste qui vise au même résultat mais sans en expliciter les règles, uniquement en extrapolant à partir de données d’exemple. Les système expert, grande star de l’IA des années 80-90 sont du premier type et les réseaux de neurones, nouvelle star, du second.
« L’IA faible ne fait qu’une seule chose mais elle le fait très bien »
Quelle est la situation de l’IA aujourd’hui ?
L’opposition entre IA symbolique et IA connexionniste a donné une succession d’hivers mais l’IA n’a pas connu de changement de paradigme depuis les années 70 . La nouveauté se sont les nouveaux usages adressés grâce à toutes les techniques et technologies proposées par l’IA. Et plus particulièrement les « solutions cognitives », c’est-à-dire l’ensemble des applications ayant recours à l’IA pour démultiplier les expertises d’une organisation. Concrètement, le chatbot qui automatise la relation client ou le scoring client d’un CRM qui évalue le potentiel d’un prospect sont des solutions cognitives. Avant l’émergence des solutions cognitive, l’IA bien que très couramment utilisée, n’inquiétait pas car elle n’était pas utilisée pour porter l’expertise des entreprises, leurs savoir-faire. Or, maintenant, des robots-logiciels avec des moteurs d’IA peuvent supplanter des prérogatives humaines comme certaines relations commerciales, le support, le conseil, la prise de décision… L’IA va revisiter tous les process des entreprises. Le mythe ne rejoindra pas la réalité mais il y aura des changements profonds dans les organisations. Et pas forcément pour le meilleur…
Nous sommes toujours dans une période d’IA faible ?
Yann LeCun, chercheur en intelligence artificielle [voir Lexique], défend la position suivante : on s’attend à une IA forte, c’est-à-dire capable de dépasser l’homme dans ses capacités cognitives, mais dans les faits, l’IA actuelle est comparable au robot C-3PO dans Star Wars, qui est certes capable de parler 7000 langues mais qui est stupide ! Donc l’IA faible se concentre sur une seule tâche qu’elle fait très bien. C’est par exemple le cas d’AlphaGo [Lexique]. Pour parvenir à des résultats surprenants la tendance va à l’addition d’IA faibles, c’est-à-dire de petits algorithmes d’IA spécialisés. Prenez les voitures autonomes, c’est plein de bouts d’algorithmes qui vont utiliser beaucoup de machine learning pour reconnaître des formes, les classer… L’IA forte est celle qui serait capable en plus d’être généraliste, de dépasser l’homme. C’est de l’ordre du fantasme !
« La réussite d’un projet IA exige la disponibilité des experts métiers »
Quels facteurs seraient bloquants ou accélérateurs pour le déploiement de l’IA ?
C’est dur de se prononcer sur ce qu’il adviendra mais on peut imaginer trois hypothèses. La première : une hibernation de l’IA. Soit parce que les promesses sont dingues donc forcément déceptives, ou bien en raison d’une réglementation devenue plus stricte. Le deuxième scénario possible, c’est une complémentarité entre humain et machine. Dans les entreprises, on aurait des experts généralistes assistés de robots. On le voit déjà avec des technologies qui permettent de prendre des rendez-vous automatiquement. Demain par exemple, il y aura peut-être des robots dans les métiers du commerce qui iront chercher les bonnes informations, qui prépareront une fiche récapitulative sur mon prospect avant un rendez-vous… Troisième scénario : plus de robots que d’humains. Les humains serviront à faire des robots logiciels qui se feront intégrer dans des plateformes.
Il n’y a pas de grandes avancées pourtant on parle de plus en plus du sujet…
Nous sommes dans l’ère du post big data. L’IA connexionniste, portée par les réseaux de neurones, repose sur la construction de modèles à partir des données. Or, ces techniques sont très gourmandes en puissance de calcul. Et puis, il y a la volonté de tout automatiser, la volonté de transformer les organisations. Quand on commence à utiliser de l’IA dans les entreprises pour faire des solutions cognitives – c’est-à-dire démultiplier une expertise ou l’automatiser – on démarre à un bout et on est obligé d’aller à l’autre bout. C’est l’effet pelote de laine.
Comment bien réussir à intégrer l’IA ?
La réussite d’un projet IA exige la disponibilité des experts métiers. Si demain je veux concevoir le meilleur chatbot pour faire de la relation client, personne ne sait mieux s’y prendre que ceux qui la gèrent aujourd’hui. L’IA, c’est une histoire de modèle et pour le construire on a besoin d’experts. Il faut les interviewer ou se baser sur les données qu’ils vont labelliser.
« L’IA va rendre le commercial plus performant et lui faire gagner du temps… ou bien le remplacer ! »
De quelle manière l’IA pourrait apporter de la performance supplémentaire dans la vente B2B ?
Il y a toute la partie automatisation, relance, suivi, veille. Grâce à la data et l’IA connexionniste, on tend vers l’hyper personnalisation de l’expérience utilisateur. Cela va concerner l’accompagnement, le conseil que l’on va donner jusque dans le produit et le support qui seront fournis.
Voyez-vous des applications concrètes à l’IA pour le métier du commerce ?
Quand on vient me voir avec des sujets IA, il y a deux moteurs : soit le client veut faire mieux, automatiser, gagner du temps, soit l’objectif est de créer de nouveaux produits ou services. Dans le cas du commerce, au sens large, il y a les deux cas : remplacer l’acteur commercial ou augmenter les capacités de la force de vente. Sur la partie gestion par exemple, il sera question de générer des rapports, de traiter automatiquement les mails pour gagner du temps… Concrètement, l’IA va rendre le commercial plus performant et lui faire gagner du temps… ou bien le remplacer ! Sur des sujets liés à la relation client, les choses sont plutôt avancées. Pour ce qui est du domaine du conseil ou du vendeur augmenté, je pense qu’on ira beaucoup plus loin. Quand on parle de l’assistant à la vente, c’est forcément très lié à l’activité métier donc ça demande une certaine maturité sur sa compréhension de ses savoir-faire.