Paresse ou recherche de confort ? Trop souvent, les vendeurs restreignent leur domaine d’intervention aux seuls interlocuteurs opérationnels. Selon eux, accéder aux strates supérieures vaudrait crime de lèse-majesté, au risque librement consenti de fragiliser leur position. Comment et pourquoi un commercial doit-il se rendre visible auprès des N+1 pour décrocher des ventes plus conséquentes et renforcer sa présence dans la durée ?
Vendre à votre interlocuteur opérationnel mais pas seulement…
Quand j’ai commencé dans la vente auprès des grands comptes, j’étais jeune et fougueux. Doté d’un culot à toute épreuve, je n’hésitais pas à appeler au plus haut niveau chez mes clients, au risque, à de nombreuses occasions, de me faire remonter les bretelles et renvoyer à des interlocuteurs opérationnels de plus bas niveau. Chaque fois que cela se produisait, mes responsables y allaient de leur couplet sur la nécessité de ne pas froisser les susceptibilités des interlocuteurs opérationnels. Après tout, c’était eux qui nous défendaient en interne chez nos clients ; il fallait donc les ménager. Je me serais résigné à adopter l’attitude de mes responsables si, une nuit, je ne m’étais pas réveillé en sursaut avec la conviction que mon client assureur courait le risque de planter sa collecte annuelle de primes faute d’une capacité de calcul suffisante. Ce matin-là, j’appelai le DG de la compagnie sans plus attendre et l’alertai sur les conséquences dramatiques à ne pas traiter au plus vite le problème de sous-capacité de traitement informatique. Là encore, j’avais grillé allègrement toute la chaîne d’interlocuteurs intermédiaires, privilégiant la recherche d’efficacité au mépris du respect des principes de bienséance les plus élémentaires. Mais bien m’en avait pris. Après avoir traité le problème sur le fond – et apaisé en passant les égos froissés par mon insolence – le client me passait trois semaines plus tard une commande de plus de 5,5 millions d’euros. Quatre mois plus tard, après installation des équipements nouvellement commandés, il devait passer en douceur la collecte de primes de l’année, pour un montant cumulé de 3,5 milliards d’euros. Surtout – et croyez que ceci fut une leçon pour moi que j’allais appliquer toute ma vie – tous mes interlocuteurs clients, des opérationnels jusqu’au DG, me remercièrent d’avoir fait preuve de culot car, oui, a posteriori, ils étaient unanimes pour dire qu’ils avaient frôlé la catastrophe et que le temps pressait.
Identifier les bons interlocuteurs
Au détour de cette anecdote, je venais d’apprendre quelque chose de tout à fait essentiel dans la vente, que ne désavouerait pas un adepte du confucianisme : tout phénomène sur terre (entendez au niveau opérationnel) trouvait sa correspondance au ciel (entendez au niveau stratégique). Le manque de capacité de calcul et de stockage dans la salle des machines rendait aléatoire l’appel de cotisations, activité ô combien gourmande en capacité de traitement, mais surtout stratégique au regard de ses implications sur la bonne marche de la compagnie. Mon seul mérite dans cette histoire avait été d’établir un lien de causalité ou d’interdépendance entre un phénomène physique sur lequel le pouvais avoir un impact (la fourniture de puissance de calcul) et son implication métier, la collecte de primes. Mieux, j’avais su identifier la personne logiquement impactée de par sa fonction par la difficulté entrevue, en l’occurrence le directeur général. Car pour remonter la chaîne de décision, il y a trois règles d’or. La première, c’est celle qui vient d’être illustrée ci-dessus, à savoir le fait de dérouler le fil des causalités négatives en posant plusieurs fois la question suivante : « Quel événement adverse ou malheureux peut survenir en conséquence de ce problème opérationnel ? ». La deuxième règle d’or consiste à identifier l’interlocuteur qui, de par sa fonction, porte la responsabilité liée à la survenance de l’événement adverse, comme ici, le DG par rapport à une collecte de primes défectueuse. Enfin, troisième règle d’or, il importe ensuite pour le commercial de négocier l’accès à cette personne. Et sur ce registre, je ne saurais trop recommander de faire valoir les conséquences négatives liées au problème opérationnel soulevé, quitte à susciter, auprès de l’interlocuteur cible, une angoisse salutaire incitant à la prise de décision.