Grégoire Leclercq

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Grégoire Leclercq

Président de la fédération des Auto-entrepreneurs - Secteur Associations, fédérations, syndicats

Grégoire Leclercq, président de la Fédération des Auto-Entrepreneurs et Denis Jacquet, entrepreneur et président de Parrainer la Croissance lancent l’Observatoire de l’Ubérisation en France. Le but, réunir tous les acteurs concernés afin de comprendre et d’accompagner cette vague de fond qui submerge l’économie.

NN : Qu’appelez-vous « ubérisation » de la société ?                  GL : C’est la conjonction de trois grands faits de société. Le premier c’est le numérique pour tous. Tout le monde aujourd’hui a un Smartphone, une tablette, un ordinateur, 95% des foyers ont l’ADSL, 50% ont la fibre. Côté prestataire, l’utilisation des données, les progrès techniques ont amené une facilité d’utilisation du produit jamais vue jusque-là. Vous avez ensuite la modification du marché du travail et la disparition progressive du salariat tel qu’on l’a connu depuis des décennies. On assiste en effet à la montée du travail indépendant et notamment de l’auto-entreprenariat, et c’est un phénomène qui est absolument fondamental pour l’ubérisation, car se retrouve sur le marché du travail une main d’œuvre indépendante, souvent organisée en réseau qui peut réaliser tout type de mission, de la plus simple à la plus complexe. Le troisième fait de société, c’est la modification des comportements de consommation chez les Français. Ils sont de manière générale plus exigeants, plus pressés, plus sévères, ils ont besoin de transparence et demandent le taux d’effort le plus faible possible dans leur démarche de consommateur. Ces trois leviers : digital, indépendance et consommation, ont amené l’émergence d’un modèle économique complètement nouveau que nous avons choisit d’appeler ubérisation, mais qui pourrait s’appeler de façon un peu plus précise la disruption de la consommation par le numérique. Uber étant juste un symbole. Mais quel que soit le terme choisi pour le nommer, ce phénomène touchera tous les secteurs des services dans les 24 mois à venir.   NN : Quels sont les objectifs de cet observatoire ? GL : D’abord de faire le constat de l’ubérisation. Nous voulons essayer d’avoir, de manière professionnelle, l’analyse la plus fine possible du phénomène. Nous allons essayer de le chiffrer : le nombre d’entreprises créées sur ce modèle, le nombre de services impactés, le nombre d’emplois créés par ces entreprises et en contrepartie le nombre d’emplois détruits dans les secteurs attaqués, et si possible la croissance potentielle du secteur, entre autres indicateurs. On le voit avec Uber, les gens qui ne prenaient pas le taxi prennent plus volontiers Uber : cela veut dire que la croissance du secteur des transports s’en retrouve affirmée. Il faut la chiffrer et savoir si ce n’est pas une croissance temporaire parce qu’évidemment l’effet de mode peut jouer. Ce constat permettra de donner une explication plus didactique, de démocratiser le phénomène auprès des Français et de se débarrasser des fantasmes qui l’entourent. Une fois que ce constat sera réalisé, nous essaierons de faire des propositions. Nous avons choisi une devise « accompagner plutôt que s’affronter ». L’idée sous-jacente est qu’on ne peut pas combattre l’ubérisation, c’est un phénomène économique, une vague de fond. Par contre on peut l’accompagner, sur les questions d’ordre juridique, social et fiscal.   NN : Quel domaine est-il urgent de réformer afin d’accompagner l’ubérisation ? GL : La réforme du contrat social est pour moi le sujet majeur. Si l’on observe ce qui s’est passé chez Uber, dont les chauffeurs ont choisit de se syndiquer et de lancer leur propre application, on voit bien qu’il y a besoin d’un nouveau dialogue social, d’une nouvelle représentativité. Le code du travail ne doit pas être le code des salariés mais celui de tous les actifs. Il faut créer des instances représentatives pour tous ces indépendants, leur donner plus de poids face aux donneurs d’ordres : les Airbnb, les Uber. De façon générale, il faut prendre en considération le fait qu’il y a de plus en plus d’indépendants, l’OCDE nous en promet 1 million en plus d’ici 2020, et réfléchir sur l’aménagement des allocations chômage, des indemnités journalières et de la prévoyance… Malheureusement les acteurs sociaux traditionnels, syndicats salariés comme syndicats patronaux ne se sont pas emparés du sujet comme ils auraient dû le faire. En discutant avec eux, nous nous sommes rendu compte que l’intérêt pour ces questions est réel, mais pour des raisons politiques, ils restent dans une posture de rejet. Quand le Crédit Agricole ferme 2000 agences, le Medef ne peut pas au même moment dire qu’il s’intéresse à l’ubérisation des banques. C’est dommage mais c’est la réalité aujourd’hui.   NN : Quelles sont les réactions observées dans les secteurs « ubérisés » ? GL : Il y a celle corporatiste et violente des taxis que tout le monde a pu observer. Mais ce n’est pas la seule. Nous avons participé récemment à différents salons durant lesquels nous avons pu échanger avec des acteurs traditionnels « ubérisés » et les réactions sont très différentes. Le monde bancaire par exemple est extrêmement confiant. Ils sont très au fait du phénomène, la réglementation est de leur côté, ils ont pris le parti, soit de développer une plateforme en interne, soit de racheter les acteurs qui les ubérisent, à savoir les Fintechs. La réaction du barreau de Paris est également intéressante. Quand de nouveaux acteurs en conseil juridique comme Legalstart ou WeClaim sont apparus, ils n’ont pas paniqué. Ils envisagent d’indexer tous les avocats du barreau de Paris et de créer leur propre plateforme. C’est la réaction la plus intelligente : dépoussiérer leurs services, les rendre plus en phase avec l’air du temps, avec des moteurs de recherches ergonomiques, des références juridiques, des aides pour rédiger une procédure. En fait la réaction dépend de l’organisation de base. Prenons l’exemple les hôteliers, qui sont mal organisés, avec différents acteurs éparpillés : chaînes, indépendants, gîtes, etc…Quand Airbnb ou Booking débarquent, leur capacité de réaction est nulle. A l’inverse, les grands comptes du secteur arrivent à lutter assez finement, comme Accor qui a lancé une place de marché de toutes les chambres d’hôtels du monde.   NN : Quels seront les prochains secteurs touchés ? GL : Pour nous l’ubérisation va se déployer dans des domaines de plus en plus techniques. Les systèmes financier, assurantiel et mutualiste commencent à être ubérisés. Le graphisme, la programmation vont être impactés et les SSII attaquées de front. Des professions très techniques et régulées comme les huissiers, les notaires ou les experts comptables vont suivre. La projection, c’est que fin 2016 tous les secteurs de services auront déjà subi une première vague, c’est-à-dire auront vu naître sur leur secteur une start-up ayant connu le succès.   Propos recueillis par David Rozec, drozec@nomination.fr