Entretien avec Jean-Michel Kampf, président de l’Atelier du Courrier, un service d’affranchissement du courrier mutualisé, économique et solidaire. Fondateur de cette entreprise adaptée, permettant aux travailleurs en situation de handicap de s’insérer sur le marché de l’emploi, il nous détaille les tenants et les aboutissants de cette aventure humaine.
NN : Pourquoi avoir créé l’Atelier du courrier, quelle était votre motivation première ?
JMK : J’ai créé L’Atelier du courrier pour satisfaire deux vocations : l’une entrepreneuriale et l’autre sociale et solidaire. Ce projet-là, sous sa forme d’entreprise adaptée, me permet de m’occuper des gens, en accompagnant notre personnel au niveau socioprofessionnel tout en étant chef d’entreprise, avec des objectifs de productivité et de rentabilité.
J’ai une dizaine d’années d’expérience dans le secteur postal où j’ai vendu des machines de tri, dirigé un centre de tri postal et accompagné le premier acteur alternatif à La Poste sur la distribution du courrier. J’ai vu une opportunité dans la mutualisation du courrier pour les entreprises. Le principe est simple : mettre en commun les volumes courrier de nos clients, afin d’obtenir des tarifs préférentiels auprès de La Poste. Nous nous rémunérons ensuite sur l’économie générée. En plus, nous supprimons un système mécanisé d’affranchissement au profit d’un travail humain, en valorisant un savoir-faire.
NN : Que proposez-vous comme services ?
JMK : Nous proposons à nos clients d’externaliser, de manière économique et solidaire, la gestion de leur courrier. Nous récupérons les plis au sein des entreprises, puis nous les acheminons dans nos locaux. Nous les trions à la main, nous les analysons pour en optimiser l’affranchissement et permettre au client bénéficier des tarifs les plus avantageux proposés par les services postaux. Nous les déposons ensuite en poste le jour même. Notre action se traduit généralement par une réduction des dépenses de courrier de 15 à 30% par an.
Nous nous voyons comme un cordonnier de quartier, la qualité de service est le maître mot chez nous. Il y a cette notion de travail bien fait, qui en plus permet à chaque client de réaliser des économies et, cerise sur le gâteau, de contribuer à un acte solidaire. Je pense que tout le monde s’y retrouve y compris notre grande sœur La Poste dont nous sommes le complément idéal, flexible et réactif.
NN : Si l’on envisage l’avenir du marché postal, votre modèle est-il viable sur le long terme ?
JMK : La Poste anticipe la baisse des volumes postaux en augmentant ses tarifs tous les ans. Un client à qui il reste moins de 100 plis par jour n’a plus accès aux tarifs préférentiels qui s’enclenchent à partir de 1000 plis. L’existence de massificateurs est totalement légitime, car les entreprises avec des volumes en baisse vont vouloir optimiser la gestion du courrier restant. Mais si le volume de courriers est à la baisse chaque année, ce métier ne va pas disparaître du jour au lendemain.
Le problème est que pour l’instant les entreprises ne connaissent pas notre métier. Neuf fois sur dix ils envisagent soit La Poste en direct, soit la machine à affranchir. Ils sont très étonnés qu’il existe des solutions alternatives. Ils ne connaissent pas notre modèle économique et c’est un frein à notre développement, en tout cas cela nous oblige à communiquer.
NN : Qui sont vos clients aujourd’hui ?
JMK : Nous avons nos clients de la première heure qui n’ont pas forcément regardé l’aspect économique, du moins au début. Ils ont d’abord adhéré à notre modèle social et solidaire. Je pense à la Bred, un client majeur, qui nous soutient depuis le début et grâce à qui nous avons créé beaucoup d’emplois ou PSA que nous allons accompagner sur les 5 prochaines années. Nous avons également des clients dans l’associatif comme Médecins sans Frontières. Plus récemment, Swiss Life, Mercedes VI Paris et In Vivo nous ont rejoints.
NN : Vous employez 80% de salariés en situation de handicap, qu’est-ce que cela change dans l’organisation du travail ?
JMK : Ce qui change, c’est que l’entreprise à l’obligation d’accompagner ce personnel dans le cadre d’une formation et à terme d’une réinsertion. L’entreprise adaptée est un sas qui permet de former des collaborateurs à un métier. Avec un conseil permanent qui leur permet, soit d’être embauchés définitivement dans notre entreprise, soit d’obtenir un emploi ailleurs. A l’heure actuelle, nous avons une vingtaine de salariés dont 17 en situation de handicap. Il y a environ 600 entreprises adaptées en France, généralement elles proposent des services d’entretien d’espaces verts ou de conditionnement, mais ce côté technique sur la gestion du courrier est novateur.
Pour recruter nos collaborateurs, nous travaillons avec tous les acteurs locaux de l’emploi : Cap Emploi, les associations de quartier ou des structures nationales, comme Ares par exemple, qui nous amènent beaucoup de candidatures issues du secteur adapté. Les structures dédiées des collectivités locales et territoriales, les CCI sont aussi des partenaires. Enfin, nous espérons obtenir prochainement notre agrément d’entreprise adaptée.
NN : Que changerait ce statut d’entreprise adaptée pour vous ?
JMK : Cela validerait 4 années de travail intensif et nous aiderait à nous développer, à embaucher encore plus de personnes. Surtout des structures comme l’Agefiph pourront nous aider à améliorer le quotidien de nos salariés : en matière d’ergonomie, d’accompagnement socioprofessionnel, etc.
Nous serons en capacité d’ouvrir des antennes sur le territoire national, voire, à termes, de transmettre notre savoir-faire à d’autres entreprises adaptées pour leur permettre à leur tour de créer des postes plus rapidement.
NN : Etre une entreprise adaptée peut-il également être un argument commercial ?
JMK : Quand nous allons vanter les mérites de l’Atelier du Courrier chez nos clients, nous ne parlons quasiment pas de la partie entreprise adaptée. C’est contraire à notre philosophie qui est de gommer les différences. Ce que nous vendons c’est le savoir-faire de nos salariés et la valeur ajoutée de leur travail. Il s’agit de changer le regard sur le handicap. On travaille avec l’Atelier du courrier parce que ses équipes sont efficaces, fiables et professionnelles, pas par compassion.
NN : Où vous situez-vous dans la mouvance de l’économie du partage ?
JMK : Nous adhérons totalement à cette philosophie. Nous générons une économie et nous la partageons avec nos clients. Il y a plein de choses que nous ne facturons pas, pour une raison toute simple : montrer qu’il est encore possible de générer de l’emploi par le partage et de gagner notre vie, sans subventions de l’Etat. Et cela fonctionne, nous sommes passés de 400 000 euros de chiffre d’affaires pour notre premier exercice, il y a 3 ans, à 1 300 000 euros cette année.
Pour moi l’économie du partage ne peut que réussir. Je pense qu’un modèle basé sur des valeurs positives, de bien être, a vocation à perdurer. Les gens recherchent ça, ont besoin de ça.
NN : Quels sont vos projets de développement ?
JMK : Nous nous diversifions, mais toujours dans le domaine du courrier. Nous développons des solutions de mise sous plis, d’impression à distance, de numérisation, d’archivage numérique.
Nous pourrions aller un jour vers la distribution de courrier, pourquoi pas ? Devenir un partenaire de La Poste qui distribue le courrier avec du personnel issus du secteur adapté, ça me plairait assez.
Propos recueillis par David Rozec, drozec@nomination.fr